Sur le podium des grands rendez-vous manqués dans un office, sont appelés… les entretiens individuels !
A l’instar de la réunion de travail, les entretiens individuels sont des moment clés de la gestion des entreprises qui souffrent d’un manque d’efficacité criant.
Managers comme collaborateurs en ont conscience et s’en plaignent. Selon les sondages et les différentes formulations de la question posée, 66% à 95% des interrogés se déclarent insatisfaits desdits entretiens, qu’il s’agisse d'employés ou d'évaluateurs.
En questionnant le moteur de recherche sur la manière de « réussir son entretien individuel » nous obtenons pléthore de résultats. C’est sans doute preuve que l’exercice n’est pas encore maîtrisé, voire incompris. Dommage, car il s’agit de l’un des moments les plus importants de l’année pour un collaborateur et son supérieur.
Stressant, anxiogène, d'un formalisme excessif, décevant voire contre-productif, l’entretien individuel donne des sueurs froides aux actifs. Censés être reboostants, il serait démotivant et même démoralisant.
Mais si cet exercice est si terrible, pourquoi nous infligeons-nous consciemment une telle torture ? Une enquête réalisée par l’entreprise Lucca à l’été 2019 auprès de plusieurs centaines d’entreprises nous indique que 18% des interrogés tiennent leurs entretiens annuels d’évaluation par obligation légale uniquement. La réponse « c’est obligatoire, et nous avons toujours fait comme ça » n’étant indéniablement pas satisfaisante, nous nous pencherons sur la question de l’utilité de l’entretien individuel et sur les maux dont souffrent ces rituels universellement détestés. Pourquoi font-ils partie des grands vainqueurs au classement des rendez-vous managériaux manqués ? Quelles sont les conséquences de cette défaite et comment s’en départir ?
Commençons tout d’abord par revenir sur les différents types d’entretiens individuels.
Il existe en premier lieu les entretiens dits « d’évaluation ». Ces derniers sont facultatifs ou imposés par la convention collective, ce qui est le cas pour le Notariat[i]. Ils concernent tous les collaborateurs de l’office et sont annuels la plupart du temps, organisés dans l’idéal dans le courant du premier semestre civil. Ces échanges officiels sont dédiés à l’appréciation des aptitudes professionnelles des collaborateurs, dans le cadre de la réalisation de leurs missions. Ladite évaluation doit se baser sur des critères préalablement indiqués, sous délai raisonnable, à chaque collaborateur.
En second lieu, existent les entretiens dits « professionnels », qui constituent une obligation légale[ii]. Les offices ont l’obligation de réaliser ces entretiens professionnels, au minimum tous les 2 ans, pour les salariés ayant au moins 2 ans d’ancienneté. Un entretien professionnel doit également être organisé s’agissant des collaborateurs en reprise d’activité après un congé ou un arrêt de longue durée (congé sabbatique, parental, maternité, arrêt maladie, etc.). Sorte de bilan d’étape, l’évocation de l’avenir du collaborateur est et doit être au centre de l’échange.
La philosophie de ces deux types d’entretiens est très différente. Ils doivent ainsi être traités et organisés de manière séparée.
Il est intéressant de noter que peu d’entreprises respectent réellement ces dispositions légales, sans doute par méconnaissance et manque de formation. Une confusion très importante a lieu. In fine, il est aisément concevable que ces entretiens, si tant est qu’ils soient tenus, ne remplissent aucun des objectifs prescrits, germe d’une contre-productivité préoccupante. Pourtant, et nous insistons sur ce point, ils présentent une véritable utilité.
L’utilité des entretiens individuels
Habilement conjugués, ces deux types d'entretiens visent à permettent la progression du salarié, de son manager et de l'Etude elle-même.
S’agissant du collaborateur, c’est un moment clé permettant à ce dernier d’échanger, pendant un temps dédié, sur la période écoulée, sur ses attentes, sur ses difficultés, sur la réalisation de ses objectifs ou encore les conflits dans l’Office. C’est aussi le lieu de la demande d’une revalorisation de salaire, de mise en place d’un plan de formation. L'évocation de son évolution pourra avoir lieu lors de l'entretien professionnel.
Du point de vue du manager, il s’agit d’une rencontre privilégiée et de la plus haute importance avec son collaborateur. Plus que la performance passée, c’est bien de la performance future dont il est question au cours de l’entretien d’évaluation. Il y a là un point d'achoppement non négligeable. C'est sans doute parce que l'on ne cesse de se focaliser sur le passé, plutôt que sur l'amélioration, que ces entretiens sont jugés inefficaces.
C’est également grâce à cette rencontre que les managers sont à même de prendre conscience de la qualité ou de l’imprécision de leur management, de la difficulté qu’ils ont à être en accord avec les aspirations de leurs collaborateurs ou, à l’inverse, de l’adéquation entre le message donné et la réalisation des missions. La relation manager – managé est réellement mise en valeur grâce à cet exercice. C'est en ce sens que la préparation assidue de cette rencontre est essentielle, tant par l'évalué que l'évaluateur qui seront tous deux responsables des résultats et de l'issue de l'entretien.
Enfin, du point de vue de l’Office, c’est le temps de l’optimisation des processus RH et de l’augmentation de la productivité grâce à des outils stratégiques de grande valeur. A l’issue de ces différents entretiens, professionnels et d’évaluation, des réponses pourront être apportées aux questions suivantes : Devons-nous nous développer ? Le pouvons-nous ? Devons-nous recruter ? Nos collaborateurs sont-ils épanouis ? Le collectif remplit-il ses objectifs en terme de rentabilité et de performance ?
Il semblerait que la réalité soit moins heureuse...
Dans les faits, si ces entretiens étaient réussis, il ne fait aucun doute qu'ils ne se trouveraient pas sur le banc des accusés. Il est vrai qu'en pratique, l’entretien d’évaluation ressemble davantage à une comparaison entre objectifs antérieurs et réalisation effective, avec des objectifs plus ou moins bien fixés et des données de contrôle rarement connues du collaborateur. Quant à l’entretien professionnel, ce dernier n’est que très peu réalisé, bien qu’obligatoire.
Plus que cela, ces échanges représentent le symbole de la confrontation entre le collaborateur considéré comme par essence revendicatif, face à son manager dépeint comme défavorable à tout type de progression salariale.
Serait-il alors opportun de les supprimer ?
Ne pensons pas que nous pourrions nous débarrasser si facilement d'un outil managérial. La nature a horreur du vide. Sitôt disparus, ils seraient remplacés. Si tel était effectivement notre choix, nous ne serions pas les seuls à le faire. Le listing est déjà long. De Google, à Adobe en passant par General Electric, nombre d’entreprises ont remplacé ces entretiens par des échanges plus informels et plus nombreux, visant à renouveler plus fréquemment les feed-backs. Ces entretiens prennent alors le nom de « points de contact » et permettent de dédramatiser le moment. Quoi qu’il en soit, entretiens individuels traditionnels ou nouvelles méthodes, la formation managériale reste la clé pour les Notaires-managers. Ne nous y trompons pas : la disparition des entretiens au profit de la multiplication de feed-backs réguliers exigerait une formation des plus assidue et qualitative. Sans cela, perte de performance, de temps et de motivation seraient à craindre.
Manque de préparation, de temps, de discipline, connaissance approximative des règles de tenue de ces entretiens et de leurs objectifs, sont le ferment d’un grand déficit d’efficacité et d’efficience de ces rendez-vous. Cela est on ne peut plus regrettable, car au delà du gain de performance non obtenu, c’est bien l'impératif de reconnaissance qui est relégué au second plan.
Ces grands rendez-vous managériaux manqués
Selon une étude pilotée par la DARES, l’absence d’entretien annuel a notamment pour effet d’augmenter le risque psychosocial[iii].
Toujours selon cette même étude, « lorsque les entretiens sont menés rigoureusement et s’ils ne sont pas liés à des objectifs chiffrés, l’évaluation individualisée est un facteur protecteur du manque de reconnaissance ».
A côté de la bienveillance, factice ou bien réelle, qui inonde les réseaux sociaux et les communications des entreprises à grands coups de greatwashing, la reconnaissance a malheureusement, quant à elle, perdu du terrain.
La reconnaissance, de quoi s’agit-il exactement ? Pourquoi est-elle indispensable ?
Saviez-vous qu’un salarié sur deux souffre d’un déficit de reconnaissance au travail ?[iv]
Le Professeur Isabelle Barth, agrégée des Universités et Chercheur en sciences du Management, définit le manque de reconnaissance comme un renvoi au manque de considération. Les collaborateurs qui en souffrent indiquent ne pas être reconnus à leur juste valeur, dans leur personne comme dans leur travail. Il y a là une question de respect de la personne elle-même et des efforts qu’elle déploie. Une réelle dose d’humanité se trouve dans la reconnaissance, laquelle s’accompagne d’empathie et se distingue du simple fait de féliciter pour de bons résultats obtenus.
Or, les entretiens individuels sont le lieu privilégié de la reconnaissance du travail et des efforts fournis. S'il n'en fallait qu'une, il s'agirait certainement de la meilleure raison de ne pas reléguer au second plan la formation et la préparation de ces échanges formels.
Pourquoi nos entreprises sont-elles de plus en plus dépourvues de reconnaissance ?
Pour certains managers, exprimer de la reconnaissance pourrait être à l’origine de la création d’une sorte de dette envers les collaborateurs, pourtant déjà rémunérés pour le travail confié[vi].
D’autres craignent que les efforts de leurs collaborateurs se relâchent, que ces derniers se croient plus libres.
Il existe des managers qui ne souhaitent pas seulement être respectés, mais qui cherchent aussi et surtout à être redoutés.
D’autres encore veulent éviter des demandes d’augmentation de salaire, voire d’évolution et de promotion, dont la reconnaissance serait à l'origine selon eux.
C’est pourtant tout l’inverse.
Les chercheurs en psychologie sont unanimes. La reconnaissance juste et sincère s’accompagne de bien-être au travail, de motivation renouvelée, d’engagement des collaborateurs et donc…de performance ! Un collaborateur qui se sent reconnu sera certainement moins demandeur d’augmentation de salaire ou d’évolution à court terme. Au contraire, un salarié dont les efforts ne sont pas reconnus aura assurément besoin d'actionner les leviers financiers et promotionnels pour trouver son épanouissement.
Attention toutefois, « la reconnaissance, ne peut être qu’authentique » rappelle Isabelle Barth[v]. Artificielle ou simulée, elle n’aura aucune saveur, voire des effets inverses de démotivation et de perte de confiance. Dans le Notariat, l’authenticité ne doit pas être réduite aux actes signés par le Notaire.
Alors, dans des périodes bien houleuses, comme celles que nous vivons, ne mettons pas de côté ces entretiens individuels qui ont un grand rôle à jouer dans nos équipes. Si l'exercice n'est pas maîtrisé, cela ne signifie pas qu'il faille l'abandonner. Au contraire, redoublons d'efforts. Insistons, tant dans la formation que la préparation. Les effets d'entretiens réussis sont immédiats pour le collaborateur qui se sent reconnu, pour le supérieur hiérarchique qui améliore sa pratique du management, et pour l'Office qui ne stagne plus mais se développe.
[i]Article 16 de la convention collective nationale du notariat du 8 juin 2001.
[ii]Loi sur la réforme de la formation professionnelle le 1er janvier 2015 et Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
[iii]Dares Analyses n°3 de janvier 2015
[iv]Enquêtes menées sur le thème de la Qualité de vie au Travail.
[v]Isabelle Barth, Professeure agrégée des Universités et Chercheur en sciences du Management
[vi]Travaux de Mauss – don et contre don
Publié par Marianne Genévrier, le 17 septembre 2020