Elle s’invite dans tous les discours, elle est sur toutes les lèvres et espérée partout, il s’agit de la bienveillance. Très tendance, comme en témoigne le million de résultats obtenus sur Google, la bienveillance est à la mode.
Et comme si la citer suffisait à la rendre réelle, nous ne comptons plus les situations et les discussions au cours desquelles le mot est employé. Education, développement personnel, compétitions sportives, milieu associatif, soins médicaux, politique… aucune discipline n’échappe à la règle et certainement pas le management.
Mais qu’est-ce qu’un management réellement bienveillant ?
La question mérite d’être posée.
- Ne nous tournons-nous pas vers la bienveillance lorsque nous nous trouvons en limite de compétence managériale ?
- Un manager que l’on (ne) qualifierait (que !) de compétent, serait-il de facto malveillant ?
- La bienveillance est-elle la réponse à tous les maux vécus en entreprise ? Peut-elle avoir des effets pervers ?
- La bienveillance à outrance ne confinerait-elle pas parfois à la mièvrerie ?
Il est souvent nécessaire de se libérer de certains tabous afin d’améliorer la qualité de son management et la performance de son Office. La critique objective de la bienveillance dépourvue de management en est un bon exemple.
Personnellement convaincue que la bienveillance a toute son utilité en entreprise, mais que ce concept perd de sa force à mesure qu’il est employé à plus ou moins bon escient, j’ai souhaité recueillir les avis et positions des collaborateurs et Notaires sur le terrain.
A la question « comment qualifieriez-vous votre management ? Que mettez-vous en place en faveur de vos équipes ? » la réponse des employeurs est la plupart du temps la suivante : « un management bienveillant ».
C’est à ce moment-là que souvent, le sujet des viennoiseries et du dîner au restaurant offert aux collaborateurs est abordé. Si ces moments corporates et gourmands sont des plus agréables, quid de la reconnaissance ? Quid de l’instauration d’un management participatif ? Quid de la compréhension des impératifs personnels ? Quid de la mise en place du télétravail ? Quid des politiques de rémunération/formation/progression… ?
Tournons-nous du côté des collaborateurs. A la question « qu’attendez-vous de votre futur employeur/manager ? » la réponse est, à nouveau et la plupart du temps, la suivante : « un management bienveillant ».
Pour la plupart, cela signifierait de se trouver face à un employeur « sympathique », « souriant », « agréable », « facilitateur » et « respectueux du travail fourni ». En d’autres termes, d’humeur constante, poli et reconnaissant. On ne peut nier que ces qualités sont fondamentales en entreprise. Suffisent-elles toutefois ?
Comme s’ils étaient sujets à un réflexe pavlovien, ces deux catégories de membres du Notariat répondent la même chose et semblent être, a priori, sur la même longueur d’ondes. La satisfaction devrait donc être à son comble. Pourtant, force est malheureusement de constater que cela n’est pas le cas dans tous les Offices. Managers et collaborateurs indiquent parfois ne plus se comprendre. La bienveillance ne serait donc finalement pas suffisante ?
Lorsque nous poursuivons les entretiens, les réponses des collaborateurs s’affinent. Elles sont de plus en plus développées et différentes les unes des autres :
- « j’attends que mon futur supérieur hiérarchique m’accorde des revalorisations de salaire et des sessions de formation régulières, en fonction de mon investissement dans l’équipe »
- « j’attends que mon futur supérieur hiérarchique comprenne et s’adapte à ma situation personnelle en acceptant le télétravail et le temps partiel que je demande »
- « j’attends que mon futur supérieur hiérarchique soit juste, qu’il sache faire la différence entre l’investissement de certains collaborateurs et le manque d’engagement des autres »
- « j’attends que mon futur supérieur hiérarchique soit capable de déceler une perte de motivation de ma part et sache combler ce besoin de manière régulière »
Les collaborateurs interrogés semblent s’être, au départ, auto-censurés. Serait-ce par peur de trop en demander et de risquer d’être déçus ? En fin de compte, ne sont-ils pas à la recherche, outre de bienveillance, d’un véritable management ?
Prenons le temps de revenir sur la définition de la bienveillance et celle du management afin de délimiter les contours de la bienveillance. Où commence et où s’arrête t-elle ? La bienveillance entend t-elle recouvrir tous les aspects précités ?
Le management est défini comme la capacité d’un manager à diriger des équipes et à prendre les décisions stratégiques nécessaires à la réalisation de ses objectifs.
Selon le Larousse, la bienveillance est une disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui.
En d’autres termes, la bienveillance semble n’être qu’un support au management et ne pas avoir, en elle-même, vocation à répondre à des problématiques managériales.
Quand certains usent (et abusent) de ce terme, à ce jour réellement galvaudé, d’autres estiment que la bienveillance n’a pas sa place en entreprise. Si les deux ne se confondent effectivement pas, il semble intéressant d’œuvrer à les rendre complémentaires. Il est probable que la bienveillance ait toute sa place au cœur d’un management efficace. Ne dénigrons pas son utilité, mais ne nions pas non plus qu’une nuance doive être toujours apportée.
La bienveillance peut-elle devenir contreproductive ?
Ce serait un comble ! Et pourtant, il existe bel et bien des exemples dans lesquels la bienveillance devient vectrice de risques psychosociaux, lorsqu’elle n’est pas accompagné d’un management rigoureux.
- Faustine demande à son Chef de service de lui accorder deux jours de RTT imprévus pour cause personnelle. Bienveillant et compréhensif, il accepte. Cela place Antoine, son collègue, dans une situation très délicate, confinant au surmenage, au stress et à l’insatisfaction clientèle.
- Anne ne parvient plus à garder son calme face à son binôme qui, peu fiable et constamment en pause cigarettes, si ce n’est en arrêt maladie, ne remplit pas la mission confiée. Cerise sur le gâteau, une prime égale est accordée à l’ensemble des collaborateurs en fin d’année, au titre du management bienveillant dont l’office se prévaut. Anne est déçue, ne se sent pas soutenue et songe à démissionner.
- Louis se trouve chanceux. Il apprécie vraiment travailler avec son Chef de service, Notaire salarié, considéré par tous comme bienveillant. Ce dernier, satisfait du travail de son collaborateur, accepte d’appuyer sa demande d’augmentation, voire de promotion. Malheureusement, cette requête n’ira pas plus loin, les Associés, réels décisionnaires, l’ayant refusée sans motif.
Ces trois exemples, différents mais non moins courants, montrent que la bienveillance non accompagnée du management adéquat, peut-être cause de résurgence de risques psychosociaux.
La promotion de concept managériaux à la mode s’accompagne la plupart du temps d’une approche superficielle. Les consultants et formateurs ont leur part de responsabilité dans l’appropriation incomplète de sujets d’envergure par les entreprises. Ces flottements apportent leur lot d’erreurs et de dysfonctionnements, menant inévitablement à une perte de motivation et de cohésion.
Alors, de la bienveillance oui, bien-sûr. Mais pas que ! Si cette faculté ne rime pas (toujours) avec incompétence, elle n’en demeure pas moins insuffisante pour gérer et piloter un office. Ne réduisons pas le management à la bienveillance la plus élémentaire. Prenons de la hauteur et élevons le débat, nous rendrons service au Notariat.